Une chirurgie esthétique
Simple idée : la phrase de Richard Millet est un voyage dans le temps. Toujours, elle s'allonge. interminable, multiplie les prolepses et les analepses, part d'un point pour en trouver derrière un nouveau, puis repart plus loin encore que le point d'origine. Rarement utilise-t-elle le passé simple; aucune action n'est réellement close - elles peuvent et doivent toutes être retravaillées.
Et c'est bien là le rôle de la littérature : revamper les évènements (et j'utilise la vieille graphie, car Millet l'exigerait) banaux, narrativement ternes et linéaires, pour les relier entre eux, en montrer l'inter-connectivité. En somme, il faut esthétiser la banalité de la vie.
Chaque phrase de Millet ne s'arrête que lorsqu'elle a réussie cela : se refaire une beauté, refaire une beauté à l'événement raconté qui, dans la réalité, fut banal. D'où, donc, la prolifération des sauts dans les années, des incises, l'abandon des temps qui dulcifient les actions.
Il semble bien que tel soit pour lui le rôle du livre : celui d'une chirurgie esthétique (et non pas d'un reflet trivial du quotidien - ne ridiculise-t-il pas souvent l'autofiction, le minimalisme à la Minuit?). Faut-il, dès lors, s'étonner du titre de son ouvrage, Le goût des femmes laides?
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