mardi 1 mai 2007

La symphonie pastorale


Viens de relire ce livre merveilleux. Quelques observations rapides. Tout y tient en quelques silhouettes, un paysage lestement délinéamenté, une plume sèche. Mais aussi dans une parole de l'Évangile.


"Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péchés".


Et il semble bien que le texte s'érige en un double mouvement, axé autour de cette maxime. D'un côté, Gide pose Gertrude, jeune aveugle pure et naïve. De l'autre, un pasteur qui la recueille, décide d'en faire l'éducation et, éventuellement, de lui redonner la vue (par opération chirurgicale). Posons ainsi leur évolution:


1- Gertrude, aveugle, perd de sa pureté alors qu'elle entre en relation avec le pasteur, alors qu'elle s'ouvre grâce à lui au monde, alors qu'elle retrouve petit à petit la vue. En définitive, sa vision revenue, elle choisira le suicide devant ce qu'elle juge n'être que laideur et mensonge. De la fermeture à l'ouverture, le résultat est catastrophique.


2- Le pasteur, de son côté, s'aveugle dans son obsession pour Gertrude, oubli sa femme, son fils, en vient à tomber amoureux (l'amour rend bel et bien aveugle) de sa jeune protégée. De l'ouverture à la fermeture, le résultat est totu aussi désastreux.


3- Le cheminement est croisé: Gertrude fera perdre la vue au pasteur, ce qui le perdra; le pasteur fera regagner la vue à Gertrude, ce qui la perdra.


Et donc, partant d'un noble dessein, ces deux personnages se détruiront. Leur croisement ne fera que changer leurs états initiaux, paisibles, reclus, calmes (le roman ne commence-t-il pas sous l'isolement de la neige, alors que les drames et la majorité du récit évoluent dans l'ouverture du printemps et de l'hiver?).


L'anticléricalisme du récit devient criant dès lors qu'on observe la position du pasteur et notre citation liminaire : le pasteur, devenant aveugle, devient pécheurs (d'autant plus qu'une aveugle le rend pécheur) - une parole de l'évangile est ainsi détruite.


*


Et pourtant, il me semble, j'ai toujours cru subodorer dans le texte un désespoir criant, un appel vers Dieu, un désir de rédemption.


La dernière phrase, alors que le pasteur demande le pardon de sa femme : "J'aurais voulu pleurer, mais je sentais mon coeur aussi aride que le désert", m'apparaît criante d'une vérité: le pardon devrait être la voie, la miséricorde. La réparation des tords s'y trouve certainement, mais Gide pose simplement un héros qui n'a plus la foi.


Et toute l'oeuvre de Gide me semble ainsi balancer : la foi, ce serait préférable, j'aimerais; mais un désert en moi me retient, un coeur d'homme décu.


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